
Les douze derniers mois m'ont donné le sentiment que l'Univers joue parfois des blagues cruelles dans sa grande indifférence.
L'an dernier, à la même période, une collègue partait à la retraite et allait être remplacée. Etant donné que nous serions amenés à travailler ensemble de façon quotidienne, et même que je devais être son responsable (première expérience d'encadrement!), j'étais très curieux de savoir qui serait l'heureux-se élue-e. Quelle ne fut pas ma surprise quand je vis le profil de la personne qui me rejoindrait. Je me demandais ce qu'elle venait chercher dans mon service et s'il n'y avait pas une erreur quelque part. Surtout compte-tenu de ses missions initiales. Finalement, non. Ce serait bien elle qui nous a rejoint.
Alors que je voulais rester professionnel et développer une relation de travail conviviale mais efficace (surtout vis-à-vis de quelqu'un que je ne connaissais pas), mes émotions m'ont très vite submergé. Beaucoup plus vite que je ne l'aurais cru. La réponse a été claire et nette, NON. Mais les choses ne sont jamais simples dans ces matières (en tout cas avec moi), et j'ai continué à faire le con. Aujourd'hui, j'ai envie de mettre en forme ce que je ressens et ce qui me traverse. Surtout que je ne pense pas qu'elle lira ces lignes (elle a autre chose à foutre).

L'une des premières choses qui m'ait accroché est le fait qu'on ait un niveau universitaire assez similaire avec le même type d'étude. Donc bien que j'étais assez méfiant (que fait-elle dans ce service, bon sang), j'ai vite réalisé que j'aurais quelqu'un avec qui je pourrais vraiment échanger de façon quotidienne, et je pense que ça a participé au fait que j'ai assez vite baissé ma garde. Enfin une collègue qui a le même niveau d'étude que moi et qui ce ne soit pas un chef! Je pensais avoir trouvé une égale au moins au niveau académique et intellectuel.
Très rapidement aussi, j'ai remarqué qu'elle réagissait plutôt bien à mon type d'humour, alors que d'habitude les femmes sont mal à l'aise voire outrées. Au départ, je pensais qu'elle essayait juste de s'intégrer, mais j'ai compris que c'était sincère. De même, au fur et à mesure de nos discussions, j'ai remarqué une forme d'analogie entre nous. Tout proportion gardée (elle a une vie bien plus riche que la mienne), nous avions eu des expériences similaires, et nous avons une vision du monde qui colle assez bien. Renforçant chez moi un sentiment de proximité. Surtout, elle a été la première fille, depuis bien longtemps, à me dire "je n'ai pas peur de toi." Et bon sang, j'ai tenté toute sorte de façon pour tester jusqu'où je pouvais aller avec elle, et je me rendais compte qu'il n'y avait pas de fin! C'était même l'inverse!
Toutes ces choses ont permis de créer un climat de confiance entre nous et permettant de fluidifier notre rapport de travail. Mais plus que le boulot quotidien, je me suis mis progressivement à m'ouvrir à elle, à lui faire confiance et à lui parler de choses plus personnelles, à défaut d'intimes (quand même!). Je me lâche avec elle comme je me lâche avec presque personne d'autre, à part quand j'écris dans ce journal.
Enfin, le physique. Ça me gène un peu d'en parler puisque je trouve ça assez superficiel et vaniteux, mais c'est un trop gros morceau. C'est à ce moment que les choses ont basculé. Au départ, je pensais que c'était une jeune femme mignonne et élégante, mais finalement assez quelconque. Des jeunes femmes comme on en trouvait dans tout Paris. Puis, j'ai appris qu'elle avait fait beaucoup de sport. Et qu'il lui restait les marques physiques. J'ai pété un cable.
En définitive, je ne pensais pas qu'une fille comme ça, qui remplisse presque tous mes critères, puisse exister. Ou, du moins, je m'étais convaincu qu'elle était tellement rare que je ne la rencontrerais jamais.
Cependant, et avec du recul, ce n'est véritablement qu'au cours des dernières semaines que je pense avoir réellement appris à la connaître. J'ai réalisé qu'elle était beaucoup plus profonde que ce à quoi je m'attendais, et qu'à chaque fois que je pensais avoir une bonne idée d'elle, il y avait autre chose. Une part d'ombre projetée par la lumière.

J'ai souvent tendance à dire que je n'ai pas de volonté propre quand elle est impliquée (on m'appelle le suprême de canard), tellement elle a une grande influence sur moi. Et je me rend compte que je me suis ouvert à de nombreuses choses avec elle.
Tout d'abord, c'est à son contact que j'ai véritablement pu m'initier à la vie parisienne. Pendant longtemps je voulais découvrir cette vie, et je n'ai jamais vraiment eu de guide pour découvrir toutes ces activités, comme prendre un verre, se poser quelque part. Tant et si bien, qu'alors que pendant longtemps j'affirmais que je n'était que de passage en région parisienne, j'ai désormais j'ai envie, pour un temps en tout cas, de devenir un "bobo parisien".
Ensuite, elle attiré mon attention et m'a permis de comprendre certains points de vue auxquels, même si j'étais sensible, je n'accordais pas une importance particulière. Et voilà-t-il pas que je me suis retrouvé à prendre fait et causes pour certains certains groupes.
Elle m'a également fait m'intéresser à des choses qui ne m'intéressait pas auparavant, en particulier en terme de musique, où elle m'a fait écouter de la pop et fait découvrir que j'appréciais la trance. Elle m'aura donné envie de regarder des films français et elle m'aura même fait m'intéresser à la Coupe de Monde et partager le bonheur de la France alors qu'avant je m'en foutais éperdument!
Enfin et surtout, elle est, au moins indirectement, à l'origine des nombreux changements que j'ai entamé dans ma vie depuis ces derniers mois. Même si j'ignore si c'est véritablement le cas ou si elle n'est pas arrivée à un moment de ma vie où tout commençait à s'organiser. En effet, je voulais pouvoir me hisser à son niveau, et naïvement, devenir digne d'elle. Ce qu'aucune autre femme n'avait réussi à provoquer chez moi jusqu'à présent.
Cependant, parfois et à plus forte raison ces dernières semaines, je me demande si je ne suis pas comme Icare, à vouloir me rapprocher du soleil, et si je ne risque pas de me brûler les ailes et plonger vers une chute.
Quoiqu'il en soit, j'ai fait le choix de la voir comme ma muse. Même si elle demeure inaccessible (peut-être même a fortiori), elle reste une source d'inspiration pour moi afin que je puisse m'élever.

Quand je pense à elle, il m'arrive de l'associer à Mary Poppins. Elle vient, joue (involontairement) le rôle d'une bourrasque qui mettrait de l'ordre dans ma vie, puis part.
En effet, dans quelques temps, nos chemins, au moins professionnels, vont se séparer. Elle va suivre sa voie, et je vais vraisemblablement suivre la mienne. J'ignore si je la reverrai un jour. Et je le vois d'autant plus alors que je suis en train de taper ces lignes. Je me rends compte que je l'idéalise presque en lui associant toute sorte de qualités alors qu'elle n'a pas demandé tout ça. Je pense même qu'elle s'en fout royalement.
Dans tous les cas, je lui suis reconnaissant d'avoir été une collègue (et une amie?) avec qui le courant est très bien passé, de m'avoir ouvert les yeux sur toutes sortes d'opportunités, et même si c'est indirectement, d'avoir été l'étincelle qui a initié toute une série de changements en moi (comme si je me découvrais après une lente période de nymphose).
Je me demande alors si, dans sa grande indifférence, l'Univers ne ferait pas en sorte que les événements se déroulent comme ils doivent se dérouler.
Néanmoins, je suis pas complètement gaga non plus. Elle a un caractère de cochon! Capable d'envoyer une salve de missiles sol-air à la moindre taquinerie!