Afin de pouvoir m'éclairer dans ma propre démarche littéraire, j'ai commencé à rechercher des livres dans le style fantastique africain. En fait, il fallait que je quitte mon mode de réflexion, trop "européen" pour que je comprennent comment comprendre l'Afrique (même si tous les africains ne sont pas identiques). Cependant, même je me doutais que ça existait mais je savais que c'était rare.
Je suis tombé sur le cycle Imaro de Charles Saunders. Charles Saunders est un auteur afro-américain qui voulait replacer l'Afrique à sa place dans le fantastique. En effet, durant son enfance, il fut bercé par les lectures de Conan et Tarzan, et même s'il appréciait les aventures de ces héros, il ne pouvait s'empêcher de les trouver racistes.
Il fut alors confronté à un choix : rejeter le fantastique où la civilisation européenne est écrasante, ou commencer à écrire une épopée fantastique qui déroulerait en Afrique et placerait les africains au cœur de cette épopée. Imaro est la conséquence de ce choix.
L'action se déroule dans le Nyumbani, une Afrique mythique. Imaro est un membre de la tribu des Ilyassai, un peuple de guerrriers éleveurs dans la grande savane du Tamburure. Cependant, Imaro est part, il est le fils d'aucun père. En effet, sa mère avait refusé de révéler l'identité du père d'Imaro, grand tabou parmi les Ilyassai. Ils avaient cependant accepté d'accueillir l'enfant et de lui offrir la formation de guerrier en contrepartie du fait que sa mère avait mis à jour les machinations du chaman-sorcier de la tribu.
Durant tout sa vie, Imaro devra lutter pour se faire accepter des autres mais aussi s'accepter lui-même. Au cours de ses aventures, il affrontera des hommes, des bêtes sauvages et des démons. Pour autant, il n'a aucune conscience du rôle qu'il doit être amené à jouer dans la lutte entre les Mashataan, les Dieux-Démons, et les Arpenteurs de Nuage. Une lutte qui risque de mettre en péril le Nyumbani tout entier.
On sent bien l'influence howardienne ne serait-ce que dans le premier tome. Imaro passe de guerrier éleveur à chef d'une troupe de voleur en quelques pages. Mais cela s'estompe assez vite. Imaro n'est pas Conan. Ce n'est pas un aventurier qui rêve de richesses et de femmes. C'est un guerrier prompt à l’introspection et qui recherche la paix intérieure. Pour autant, il est facile de faire le lien entre la Nyumbani et l'Hyborée. En effet, quiconque à une petite connaissance de l'histoire et de la géographie de l'Afrique pourra faire le lien des étapes de pérégrinations des personnages. Enfin, à travers les Mashataan et leurs serviteurs, on reconnait quelques influences lovecraftiennes que l'on retrouve chez Howard.
Je sais que les deux œuvres sont différentes mais je ne pouvais m'empêcher de faire le lien entre Imaro et Guts de Berserk. Les deux (anti-)héros sont des guerriers orphelins et marginaux à la force et au charisme surhumains qui doivent lutter contre leurs démons tout en étant les pions de puissances qui les dépasse.
Le livre suit une certaine progression, que l'on peut sans doute rapprocher des évolutions chez l'auteur lui-même. Au départ, le récit est assez terre-à-terre, très low fantasy, mais au fur et à mesure que l'on avance, il déploie sa pleine mesure, jusqu'à devenir épique, dans les proportions d'un Seigneur des Anneaux. On passe alors de la réponse de l'Afrique aux héros de pulp, à une aventure autonome.
Conséquence directe, il y a un vrai travail sur les personnages dont même les plus secondaires, ont un embryon d'histoire et de personnalité, avec des rêves et des doutes. Cependant, on peut regretter le fort taux de mortalité, surtout au début.
Un autre point à souligner est le travail de documentation entrepris par l'auteur. Cela se ressent dans les différents royaumes mais aussi dans le vocabulaire qui regorge de noms en langue "locale". Par moment, cela peut être agaçant, notamment quand on parle d'un arem pour évoquer une lance (je ne l'ai su que vers la fin, je croyais qu'un arem était une espèce d'épée courbe).
J'ai beaucoup aimé Imaro. D'abord pour son côté un peu "précurseur" dans le monde fantastique africain, mais aussi parce que je me reconnais un peu dans la personne du guerrier. Solitaire, en quête de son identité ainsi que d'un foyer.
Cependant, je trouve qu'il aurait pu davantage insister sur les divinités primordiales qui sont originaires du Nyumbani afin de casser un peu le côté manichéen du conflit Mashataan/Arpenteurs de Nuages.