J'aime beaucoup les fées dans le folklore. Dans les anciennes croyances, les fées étaient des créatures magiques dont on ignorais les motivations. Parfois elles étaient "sympathiques" (elles peuvent rendre service, mais à un prix), à d'autres moments elles étaient malicieuses (voire démoniaques), et enfin à d'autres elles étaient juste étranges. En plus, elles enlevaient les nourrissons pour y lancer des changeling. Bref, on ne voulait pas avoir à faire à des fées. Les gentilles fées de type Clochette sont arrivées beaucoup plus tard au XIXième siècle, et ce sont elles (plus les interprétations de Disney) qui ont conditionné l'image que l'on a des fées aujourd'hui.
Bref, j'adore les fées, et j'essaye toujours d'en glisser dans mes univers (bon sang, c'est tellement arrogant). Et j'ai développé un certain attrait pour les contes de fée, mais dans les versions les plus proches du folklore possible (i.e. avec une influence chrétienne limitée, et surtout pas la version Disney). D'ailleurs, le recueil de contes des frères Grimm est sur ma liste de souhait depuis trop longtemps maintenant.
C'est en cherchant des livres qui parlaient des fées que je suis tombé sur l’Épée Brisée de Poul Anderson (l'homme derrière Trois Cœurs, Trois Lions). D'après Michael Moorcoock, c'est la lecture de l'Epée Brisée qui lui aurait inspiré pas mal d'éléments que l'on retrouve dans les aventures d'Elric. Ce fut une lecture déterminante pour lui, et j'ai voulu savoir pourquoi.
Au départ, je n'ai pas voulu écrire d'article sur ce livre. A l'époque (ça va faire un peu plus d'un an maintenant), j'avais d'autres choses à gérer, et finalement, les mois sont passés. En même temps, le livre trottait dans ma tête, et comme je constate le peu d'amour dont il bénéficie, je me suis décidé à écrire un petit article dessus, histoire de faire un peu de bruit.
L’histoire se déroule en Europe du Nord, dans une époque où le christianisme commence à atteindre ces régions et où les vikings faisaient encore des raids sur les côtes anglaises. Nous suivons les aventures de Skafloc, un guerrier qui a été enlevé par des elfes alors qu'il était nourisson. Skafloc se verra offrir une épée brisée par les dieux lors de la cérémonie de son nom. Mais tout le monde dans l'audience se doute qu'un cadeau des dieux est un cadeau empoisonné.
Skafloc est un atout précieux pour les Elfes, il peut manier le fer. En dépit de leur manque d'empathie, les Elfes l'élevèrent comme l'un des leurs et lui apprirent leurs secrets. Alors qu'elle était composée de batailles contres les trolls, ennemis des elfes, et de ballades dans la forêt, Skafloc fait la rencontre de Freda, une jeune femme. Avec elle, il découvrira l'amour, ainsi que l'humanité.
Lorsqu'elle sera mise en danger par son doppelganger, allié aux trolls, Skafloc n'aura d'autre choix que reforger l'épée et déchaîner sa puissance. Une puissance assoiffée de meurtres et capable de faire trembler les fondations du monde.
Alors que Trois Coeurs, Trois Lions cherchait du côté du conte, l'Epée Brisée s'inscrit dans le registre de la saga, c'est-à-dire, en reprenant les mots de Régis Boyer, " un récit en prose, toujours en prose, ce point est capital, rapportant la vie et les faits et gestes d'un personnage, digne de mémoire pour diverses raisons, depuis sa naissance jusqu'à sa mort." On aurait alors ici la saga de Skaflok. Mais autant, cette aventure est la saga de Skaflok, l’Épée Brisée est aussi l'histoire de Valgard, le changeling. En dépit de n'être qu'un connard sans âme (littérallement), toute sa vie, il ne sera que le pion de forces qui lui sont supérieures. L'Epée Brisée s'inscrit bien dans la continuité de la plupart des épopées, c'est une tragédie où il est impossible d'échapper à son destin.
On n'est pas un univers où le bien et le mal sont clairement définis. Le conflit initial est issu d'une question de survie et du désir de vengeance qu'elle a entraîné. De ce flou moral, l'exemple le plus parlant est celui des Elfes qui ont é(n)levé Skaflok. S'ils sont agréables à regarder, ils n'en sont pas moins incapables de tisser des liens émotionnels forts. Même les trolls ont, par moment, l'air plus sympathiques que les Elfes. Les dieux ne sont pas tellement mieux de ce point de vue. Odin, est un vrai connard qui sert d'abord ses intérêts.
En regardant bien, aussi belle et épique qu'elle soit, cette saga ne s'apparente qu'à une note de bas de page dans l'Histoire. D'abord, parce qu'elle s'inscrit dans un conflit particulier, entre les Elfes et les Trolls qui n'est qu'une guerre de substitution entre les Ases et les Jotunn (il y a ici un écho avec la Guerre Froide, et les guerre par proxy entre les Etats-Unis et l'URSS). Donc déjà, on n'est plus sur la même échelle, mais surtout le livre indique bien que les jours des entités surnaturelles scandinaves (comme avant eux, les créatures fantastiques grecques) sont comptés avec l’avènement du christianisme.
Enfin, Michael Moorcock expliquait que l’Epée Brisée se plaçait comme une espèce d'antithèse du travail de Tolkien, reprenant les mêmes éléments (mythologie germanique, folklore européen) pour construire quelque chose de plus sombre et "adulte" (ou comment détruire un argumentaire avec un seul mot). Pourtant, ce livre se rapproche pas mal d'un autre livre de Tolkien, les Enfants de Hurin, qui raconte les conséquences des actions d'un père sur sa descendance, la relation entre un frère et sa sœur et comment une épée sombre consume le héros. A lire.